
Maman chérie
un salon s'échappent des airs de mambo et de cha-cha-cha ; les percussions et les guitares rythment l'arrivée des invités. Les rires, les conversations envahissent les pièces, gagnent la chambre où je ne parviens pas à dormir.
Tapie dans l'entrebâillement de la porte, mon pouce calé dans la bouche, je détaille les femmes qui rivalisent de beauté, d'élégance, dans leurs robes du soir de grands couturiers. J'admire les chignons laqués, les bijoux qui scintillent, la sophistication des maquillages. Elles ont l'air des princesses de mes contes préférés auxquelles j'aimerais tant ressembler quand je serai grande. Qu'il me tarde de l'être...
Soudain elle apparaît, la plus belle à mes yeux, vêtue d'une robe blanche dont le décolleté rehausse la rondeur de sa gorge. Le cœur battant, je la regarde saluer et sourire, embrasser ses amis, incliner sa nuque gracile devant des inconnus en smoking. Bientôt, elle ira danser, chanter, tapera dans ses mains, s'amusera jusqu'à l'aube, comme chaque fois que mes parents donnent une réception à la maison.
Elle m'oubliera pour quelques heures, tandis que je lutterai contre le sommeil dans mon petit lit, en pensant encore et toujours à elle, au satiné de sa peau, à ses cheveux souples dans lesquels il fait bon enfouir mon visage, à son parfum, à sa chaleur. Maman.
Maman chérie dont je n'imagine pas, dans mon paradis enfantin, qu'on puisse un jour me séparer d'elle.
Ma mère et moi sommes liées par un destin semblable, tissé d'abandon et de solitude. Agée de quatre ans à peine, elle perdait sa propre mère, morte en couches avec l'enfant qu'elle portait. A cinq ans, j'étais arrachée à la douceur de ses bras pour être adoptée par le roi Mohammed V . Sont-ce nos enfances orphelines de tendresse maternelle, notre faible différence d'âge - elle avait dix-sept ans quand je suis née -, notre incroyable ressemblance physique ou bien nos vies de femmes brutalement brisées qui ont scellé entre nous cet attachement si fort ? Comme moi, maman a toujours eu le regard grave de ceux sur lesquels le sort s'acharne.
Quand sa mère mourut, au tout début de la guerre, son père, Abdelkader Chenna, officier dans l'armée française, venait de recevoir l'ordre de rejoindre son régiment en Syrie. Il lui était impossible d'emmener avec lui sa fillette et son fils cadet. Il plaça les deux orphelins à Meknès où il habitait alors, dans un couvent tenu par des religieuses françaises, afin qu'ils y reçoivent une bonne éducation. Le petit garçon succomba à une diphtérie. Ma mère, qui aimait beaucoup son frère, se remit mal de cette perte qui la laissait seule au milieu d'étrangers. Elle eut dans sa vie bien d'autres chagrins.
Les bonnes sœurs entreprirent de faire une parfaite chrétienne de cette jolie Fatéma que le ciel leur envoyait. Elle apprit le signe de croix, et vénérait la Vierge, Jésus et tous les saints quand mon grand-père revint la chercher pour la ramener chez eux. De rage, ce musulman pratiquant qui avait déjà accompli le pèlerinage à La Mecque faillit en avaler ses médailles...
Il n'était pas bon qu'un militaire de carrière élève seul une si petite fille. Ses amis le pressèrent de se remarier. Il choisit une très jeune femme de la bonne société, qu'il épousa d'abord pour ses talents de cordon-bleu. Khadija n'avait pas son pareil pour préparer les pastillas dont mon grand-père était friand. Ma mère ne supportait pas de partager son père adoré avec une étrangère, de quelques années seulement son aînée. La naissance d'une sœur, Fawzia, puis d'un frère, Azzedine, avivèrent sa jalousie.
Elle aspira vite à échapper à un foyer où elle se sentait malheureuse et où son père l'enfermait, comme il était de tradition avec les filles. Elle n'avait cependant guère de lieux où trouver une chaleur qui lui manquait. La famille de sa mère, de riches Berbères du Moyen Atlas, était presque toute décimée. Mes arrière-grands-parents avaient eu quatre filles dont la beauté était réputée à des kilomètres à la ronde. Trois moururent à l'adolescence. La quatrième, ma grand-mère Yamna, convola avec son voisin, le bel Abdelkader Chenna, dont les terres jouxtaient les siennes.
Il dut l'enlever pour l'épouser comme dans la meilleure tradition des contes. De cette aïeule, morte à dix-neuf ans, je sais simplement qu'elle était une maîtresse femme, moderne et délurée, qui aimait s'habiller, voyager et conduire. A quinze ans, elle était déjà mère. A dix-huit, elle tenait un salon littéraire en Syrie où mon grand-père avait suivi son régiment.
Ma mère et son jeune oncle, fruit de l'union tardive de mon arrière-grand-père et d'une esclave noire, furent bientôt les seuls survivants de toute cette famille. Les terres à blé et l'or amassé pendant des générations en firent une riche héritière, moins que son oncle cependant, à qui, comme le veut la coutume marocaine, revint le plus gros de la fortune. Elle possédait des immeubles, des villas et tout un quartier de la vieille ville de Salé . En attendant qu'elle puisse disposer de son bien, mon grand-père fut chargé de le gérer. Il était, hélas, piètre gestionnaire et gaspilla plus qu'il ne fit fructifier. Ce qui revint à ma mère à sa majorité restait cependant considérable.
A douze ans, ma mère était déjà très belle. Ses grands yeux noirs, son visage fin, sa peau mate, son petit corps joliment galbé ne laissaient pas indifférents les officiers amis de son père qui avaient leurs entrées chez eux. Ce n'était pas pour lui déplaire. Elle voulait se marier, fonder une famille. Un jeune officier qui revenait d'Indochine couvert de médailles se mit à fréquenter leur maison. Mon grand-père qui le connaissait déjà, l'avait revu au mess. Séduit par son intelligence et sa réputation de bravoure au front, il en fit son ami et l'invita chez lui. Dissimulée derrière des rideaux, ma mère l'observa pendant tout le dîner. L'officier remarqua son manège et leurs yeux se croisèrent. L'intensité de son regard le frappa. Elle admira sa prestance dans son bel uniforme blanc.
Mon grand-père tenta de convaincre son nouvel ami de ne pas repartir en Indochine. Celui-ci fut touché par ses arguments et sans doute aussi par la beauté de sa fille. Quelques jours plus tard, mon père, puisqu'il s'agissait de lui, vint la demander en mariage. Mon grand-père en fut surpris, et pour tout dire, presque irrité.
- Fatéma n'est qu'une gamine, protesta-t-il. A quinze ans, pense-t-on au mariage ?
Abdelkader était encore traumatisé par le décès de Yamna, sa première femme tendrement aimée, qu'il attribuait à des grossesses précoces et trop rapprochées. Mais il finit par se laisser fléchir, d'autant que ma mère avait accepté avec enthousiasme la demande de son prétendant. Elle ne le connaissait pas, du moins pas encore, mais il lui fallait partir de chez elle. Il lui fit une cour empressée.
Elle ne tarda pas à tomber amoureuse.
Mes parents avaient vingt ans de différence. Mohammed Oufkir, mon père, était né à Aïn-Chaïr , dans la région du Tafilalet, le fief des Berbères du Haut Atlas marocain. Son nom, Oufkir, signifiait « l'appauvri ». Dans sa famille, le gîte et le couvert étaient toujours prêts pour le mendiant ou le nécessiteux, nombreux dans ces régions rudes et désertiques. A l'âge de sept ans, il perdit son père, Ahmed Oufkir, chef de son village et, plus tard, nommé pacha de Bou-Denib, par Lyautey .
Son enfance fut solitaire et sans doute assez triste. Il étudia au collège berbère d'Azrou près de Meknès. Ensuite, l'armée lui tint lieu de famille. A dix-neuf ans, il entrait à l'école militaire de Dar-Beïda , et à vingt et un ans, il s'engageait comme sous-lieutenant de réserve dans l'armée française. Il fut blessé en Italie, passa sa convalescence en France, gagna ses galons de capitaine en Indochine. Lorsqu'il rencontra ma mère, il était aide de camp du général Duval, commandant des troupes françaises au Maroc. La vie de garnison commençait à lui peser. Lui, le militaire de carrière qui fréquentait les bordels et les maisons de jeu, fut attendri par l'enfantine innocence de sa promise. Il se montra tout de suite doux et attentionné.
Mohammed Oufkir et Fatéma Chenna se marièrent le 29 juin 1952. Ils s'installèrent dans une petite maison très simple, en rapport avec la modeste solde du capitaine Oufkir. Pour ma mère, mon père se fit pygmalion : il lui apprit à s'habiller, à se tenir à table et dans le monde. Du haut de ses seize ans, elle prit très au sérieux son rôle d'épouse d'officier. Ils étaient heureux et éperdument amoureux. Ma mère qui rêvait d'avoir huit enfants fut tout de suite enceinte.
Je naquis le 2 avril 1953, dans une maternité tenue par des religieuses. Mon père était fou de bonheur. Peu lui importait que je sois une fille, j'étais la prunelle de ses yeux, sa petite reine . Comme ma mère, il désirait plus que tout une famille. Ils n'étaient pas tout à fait d'accord sur le nombre d'enfants à venir. Mon père voulait s'en tenir à trois. Deux ans plus tard, naquit ma sœur Myriam et trois ans après elle, mon frère Raouf , le premier garçon, pour lequel on donna une fête mémorable.
De ma petite enfance, je n'ai que des souvenirs heureux. Mes parents m'entouraient d'amour, mon foyer était paisible. Je voyais peu mon père. Il rentrait tard, s'absentait souvent. Sa carrière avançait vite . Mais je n'avais aucun doute sur l'affection qu'il me portait. Quand il était à la maison, il savait me démontrer à quel point il m'aimait. Son absence ne me pesait pas.
Le centre du monde était maman. Je l'aimais et l'admirais. Elle était belle, raffinée, l'exemple même de la féminité. Sentir son odeur, caresser sa peau suffisaient à mon bonheur. Je la suivais comme une ombre. Elle adorait le cinéma et y allait presque tous les jours, parfois même à deux ou trois séances. Dès l'âge de six mois, je l'accompagnais dans mon couffin. Sans doute dois-je à cette précocité cinéphile ma passion pour le septième art. Elle m'emmenait chez son coiffeur à qui elle demandait de me faire des permanentes. Elle aurait voulu avoir une petite fille aux cheveux bouclés en anglaises, comme Scarlett O'Hara. Mais hélas, au premier coup de vent, ma jolie coiffure tombait à plat.
Je la suivais chez ses amies, dans ses courses, au cheval, au bain maure qui me mettait au supplice quand il fallait me déshabiller devant tout le monde. Je la regardais s'habiller, se coiffer, se maquiller d'un trait de khôl. Je dansais avec elle sur les rocks endiablés de notre idole commune, Elvis Presley. Dans ces moments-là, nous avions presque le même âge.
La vie tournait autour de moi. J'étais gâtée, habillée comme une petite princesse dans les boutiques les plus élégantes, « Le Bon Génie » à Genève, « La Châtelaine » à Paris. Maman était coquette et dépensière, au contraire de mon père que les contingences financières ennuyaient. L'argent lui brûlait les doigts. Elle pouvait vendre un immeuble pour s'acheter toute la collection de Dior et Saint Laurent, ses couturiers préférés, et dépenser vingt, trente mille francs en un après-midi, pour ses menus loisirs.
Après la petite maison de capitaine, nous avons déménagé, au Souissi , à Rabat, dans l'allée des Princesses. La villa donnait sur un jardin sauvage où poussaient des orangers, des citronniers, des mandariniers. Je partageais mes jeux avec Leïla, une cousine un peu plus âgée, que ma mère avait adoptée.
Quelques années plus tard, alors que je n'habitais plus avec les miens, mon père, alors ministre de l'Intérieur du roi Hassan II, fit construire une autre villa, toujours dans l'allée des Princesses. Mes parents avaient eu deux autres enfants, Mouna-Inan , qui deviendra Maria en prison, et Soukaïna , un an plus tard.
Ma famille était proche de la famille royale. Mes parents étaient les seuls étrangers au Palais autorisés à y pénétrer et à se promener partout. Mon père, chef des aides de camp du roi, avait gagné la confiance de Mohammed V. Maman, elle, connaissait le souverain depuis l'enfance. Avant le remariage de son père, elle avait vécu un temps à Meknès, chez l'une des sœurs du roi chez laquelle il se rendait souvent. Mohammed V avait remarqué la beauté de la fillette qui avait alors huit ans. Il lui témoigna tout de suite une affection que le temps ne démentit pas.
Il la revit à l'occasion de l'anniversaire de ses vingt-cinq ans de règne , une cérémonie à laquelle furent conviés ses aides de camp et leurs épouses. Comme mon père, ma mère eut désormais ses entrées privilégiées au Palais. Le roi avait confiance en elle. Il appréciait sa compagnie, mais cet homme sévère était bien trop respectueux des principes pour se permettre une quelconque ambiguïté envers une femme mariée.
Ma mère devint l'amie des deux épouses du roi qui exigèrent de la voir quotidiennement. Elle vivait dans leur intimité. Les deux reines étaient cloîtrées dans le harem. Maman leur achetait des vêtements, des produits de beauté, elle leur racontait par le menu les événements du dehors. Elles étaient avides de détails sur sa vie, ses enfants, son mariage.
Rivales auprès du roi, les deux femmes étaient différentes au possible. L'une, Lalla Aabla, qu'on appelait la reine mère ou Oum Sidi , avait donné naissance au prince héritier, Moulay Hassan. L'autre, Lalla Bahia, une nature sauvage à la beauté renversante, était la mère de l'enfant chérie du roi, la petite princesse Amina, née en exil, à Madagascar , alors qu'elle se croyait stérile.
Si Lalla Aabla, rompue aux intrigues de sérail, pratiquait en virtuose l'art de la diplomatie, Lalla Bahia prisait peu les mondanités et la dissimulation de rigueur à la cour. Entre les deux, maman s'initia très tôt au compromis, car au Palais la neutralité était impossible. Il fallait être de l'un ou l'autre camp.
Moulay Hassan, qu'on appelait aussi Smiyet Sidi , habitait une maison voisine et venait souvent chez nous, ainsi que les princesses, ses sœurs, et son frère, le prince Moulay Abdallah. On me demandait de leur dire bonjour avec déférence. Un soir de ramadan , après la rupture du jeûne, ma mère était allongée dans son salon, entourée de quelques amies. Moi, je chahutais dans la maison. En traversant le couloir, je vis un monsieur inconnu qui sortait de la cuisine. Impressionnée par sa prestance, je m'arrêtai de courir. Il me sourit, m'embrassa.
- Va dire à ta mère que je suis là.
Je courus la prévenir. Elle se prosterna immédiatement devant cet homme étrange.
C'était le roi Mohammed V qui passait la voir sans s'annoncer, comme il lui arrivait parfois. Il lui dit qu'il s'était permis d'entrer dans la cuisine parce qu'il avait senti une odeur de brûlé. La cuisinière avait oublié la théière qui commençait à fondre sur le gaz. Sa Majesté nous avait sauvées d'un incendie.
J'avais cinq ans quand maman m'a emmenée pour la première fois au Palais. Les deux épouses du roi et toutes ses concubines insistaient pour me connaître. Nous sommes arrivées toutes les deux à l'heure du déjeuner dans une des salles à manger du roi, peuplée des femmes du harem qui déambulaient avec grâce, en traînant derrière elles les longues traînes chatoyantes de leurs caftans. Une véritable volière d'oiseaux exotiques, tant par la diversité des couleurs que par leur pépiement incessant.
La pièce était gigantesque, je n'en avais jamais vu qui eût de pareilles dimensions, bordée de balcons sur toute la longueur, décorée de mosaïques qui couvraient les murs à mi-hauteur. A l'une des extrémités, majestueusement posé sur une estrade, se trouvait le trône royal. Sur un des côtés s'élevait une montagne de cadeaux encore emballés, reçus par le souverain à l'occasion de fêtes, de cérémonies ou de visites officielles. A l'autre bout, dans une alcôve, la table du roi était dressée à l'européenne, avec des assiettes de porcelaine, des verres en cristal et des couverts de vermeil et d'argent. Ses concubines s'asseyaient à ses pieds, à même le sol recouvert de tapis bruns, autour de tables rectangulaires qui pouvaient accueillir huit personnes. Leur vaisselle était des plus simples. Il n'était pas rare de les voir se servir dans des gamelles en fer-blanc les plats que leurs propres esclaves avaient cuisinés pour elles.
La reine mère présidait la table la plus proche de celle du roi, entourée des concubines du moment, qu'on appelle en arabe moulet nouba, « celles dont c'est le tour ». Elles étaient de ce fait plus maquillées et mieux habillées que les autres et affichaient un petit air supérieur. Quant à celles qui avaient bénéficié la veille ou l'avant-veille des faveurs royales, elles affectaient une mine dédaigneuse et comblée en faisant bruyamment claquer dans leur bouche de la gomme arabique.
Intimidée, je m'accrochai au caftan de ma mère, mais l'envie me démangeait de galoper partout. Soudain une clameur joyeuse emplit la salle. Les femmes saluaient quelqu'un que je ne réussissais pas à voir. En me faufilant entre leurs jambes, j'aperçus une fillette vêtue d'une robe blanche, attachée dans le dos par un grand nœud. Je la trouvais magnifique avec ses cheveux noirs coiffés en anglaises, sa complexion laiteuse et les minuscules taches de rousseur qui parsemaient son visage espiègle. En comparaison ma peau mate et mes cheveux raides me paraissaient bien communs.
J'étais soulagée de voir enfin une enfant de mon âge, mais je restai perplexe. Pourquoi avait-elle droit à tant d'honneurs ? On nous présenta l'une à l'autre et nous nous embrassâmes timidement. J'appris alors que cette jolie petite fille était la princesse Amina qu'on appelait Lalla Mina, l'enfant chérie du roi et de Lalla Bahia.
Puis ce fut à nouveau l'agitation. Le roi Mohammed V fit son entrée dans la salle à manger du côté gauche, comme le voulait la coutume. Quand son tour fut venu de le saluer, maman lui baisa la main et me présenta à lui. Il me prit simplement dans ses bras et prononça quelques paroles gentilles. Tout le monde prit alors place autour des tables et le roi s'installa tout seul à la sienne. Le repas fut servi par les esclaves et les plats les plus exquis défilèrent.
Sitôt quelques bouchées avalées, je m'éclipsai pour jouer avec Lalla Mina. Pendant un court moment notre entente fut parfaite. Mais bientôt un hurlement troubla notre harmonie. La princesse m'avait mordu sauvagement l'avant-bras. Je me retournai en sanglotant et cherchai le regard de maman. Gênée, elle me fit un signe discret signifiant que je devais me calmer. Indignée par ce manque de considération, je me précipitai alors sur Lalla Mina et je lui arrachai la joue d'un coup de dents.
La princesse se mit à son tour à hurler si fort que la cour entière se leva. Je sentis une menace planer comme si toute l'assemblée allait fondre sur moi pour me battre. La petite cherchait son père du regard, mais en vain. Elle se roula alors par terre et reprit ses hurlements de plus belle. Honteuse, je me réfugiai dans les bras de maman.
Le roi intervint enfin. Il me prit dans ses bras et me demanda de lui raconter l'incident.
- Elle a injurié mon père, dis-je en pleurant, et moi aussi j'ai injurié son père et je lui ai arraché la joue.
La cour était horrifiée par mes paroles, mais le roi s'amusait beaucoup. Il me fit répéter plusieurs fois les insultes sacrilèges. Puis on nous sépara, mais la princesse et moi continuâmes à nous défier du regard.
A la fin du repas, Mohammed V s'avança vers maman :
- Fatéma, je vais te demander quelque chose que tu ne pourras pas me refuser, lui dit-il. Je ne peux pas trouver mieux comme compagne, comme sœur pour Lalla Mina, que ta fille. Je désire adopter Malika. Mais je te promets que tu pourras venir la voir quand tu voudras.
L'adoption était chose commune au Palais. Les concubines sans enfants adoptaient des orphelines, des petites déshéritées, des victimes de tremblements de terre. D'autres fillettes arrivaient à l'adolescence pour devenir des demoiselles de compagnie. Mais il était rare qu'un enfant adopté par un souverain devienne, comme moi, presque l'égal d'une princesse.
Je dois sans doute les liens privilégiés, quasi filiaux que j'eus avec Mohammed V puis ensuite avec Hassan II, à ma volonté et à mon caractère. Pendant toutes ces années passées au Palais, je fis en sorte de gagner leur affection, de m'insérer dans leur vie, de me rendre indispensable. Je ne voulais à aucun prix rester anonyme.
Ce qui a suivi est demeuré confus dans ma mémoire, comme si j'avais été la victime d'un enlèvement. Je me souviens que maman partit précipitamment, qu'on me prit et qu'on m'engouffra dans une voiture qui me conduisit à la villa Yasmina, où vivaient Lalla Mina et sa gouvernante, Jeanne Rieffel.
M'arracher à ma mère, c'était m'arracher à la vie. J'ai pleuré, hurlé, trépigné. La gouvernante m'installa de force dans la chambre d'amis et m'enferma à double tour. J'ai sangloté toute la nuit.
Mes parents ne m'ont jamais parlé de cette période. S'il y a eu des explications, je les ai oubliées. Ma mère a-t-elle pleuré jusqu'à l'aube comme je l'ai fait ? Ouvrait-elle de temps à autre la porte de ma chambre, respirait-elle mes vêtements, s'asseyait-elle sur mon lit, s'ennuyait-elle de moi ? Je n'ai jamais osé le lui demander.
Avec le temps, cette séparation était devenue un état de fait que j'acceptais, malgré mon chagrin. J'aimais tellement ma mère, je souffrais tant d'être loin d'elle, que chacune de ses visites était un terrible supplice. Les rares fois où elle passait me voir, elle arrivait à midi et repartait à deux heures. Quand la gouvernante m'annonçait sa venue, j'éprouvais une joie qui n'avait d'égale, en intensité, que la peine immédiate qui l'accompagnait.
La nuit qui précédait sa visite, je ne dormais pas ; le matin, je ne travaillais pas en classe. Les heures semblaient interminables. A midi et demi, je sortais de l'école et le même cérémonial commençait alors. Maman était là. Je galopais dans les escaliers pour gagner le salon et je m'arrêtais avant d'entrer parce que je sentais son parfum, « Je reviens » de Worth. Ce premier moment m'appartenait. Devant le portemanteau, j'enfouissais mon visage dans sa veste.
Ma mère était assise sur un canapé. Pourquoi m'accueillait-elle avec tant de calme ? Ne devions-nous pas nous retrouver dans le déchirement et dans les larmes ? Alors je me freinais, je l'embrassais froidement. Mais ensuite, pendant les quelques minutes en tête à tête octroyées par la gouvernante, j'embrassais furtivement sa main, je caressais son avant-bras, je la comblais de mille gestes de tendresse et d'amour qui m'étaient devenus étrangers et dont j'étais toujours affamée.
A table, la gouvernante accaparait ma mère, m'empêchait de lui parler. Je ne mangeais pas, je la contemplais, je buvais ses paroles, je suivais le mouvement de ses lèvres. J'enregistrais le plus de détails que je pouvais et je me les repassais chaque nuit avant de m'endormir, dans la solitude de ma chambre. J'étais si fière de sa beauté, de son élégance, de sa jeunesse. Lalla Mina l'admirait aussi et cela m'emplissait de bonheur.
Mais l'heure tournait, je devais repartir pour l'école. Ses visites s'espaçaient, je me sentais de plus en plus séparée d'elle. Mon foyer ne se trouvait plus allée des Princesses, mais au Palais de Rabat. J'y vécus tout ce temps-là presque cloîtrée, sans autre horizon que son enceinte et celles des autres palais royaux où l'on nous emmenait pour les vacances.
Je voyais la vie des autres, la vie réelle, à travers les vitres des somptueuses voitures qui nous conduisaient d'un endroit à un autre. La mienne était luxueuse et préservée du monde, autre siècle, autre mentalité, autres coutumes.
Il m'a fallu onze ans pour m'en échapper.
Avignon, le 6 juillet 2009
Bonjour famille Oufkir,
Je suis très heureux enfin de pouvoir vous donner un petit mot.
Cela dit, j'ai lu vos livres et notamment celui de Raouf m'a beaucoup touché.
Pour vous dire que votre courage et dignité sont devenus une référence primordiale pour moi de vouloir donner mon soutien au Maroc et faire un effort que les marocains, et notamment ceux qui habitent à l’étranger, puissent retrouver les sentiments de pouvoir être fiers de leur pays et de leur histoire.
De même, en suivant l’exemple de madame Fatéma OUFKIR, l’association El Bayt a aussi gagné mon cœur ! Les droits d'auteur de m'a thèse y sont contribués.
En fait, en parallèle mes études doctorales et ma formation à l’Ecole des Avocats, j’ai pu (avec beaucoup de plaisir et de sérieux) donné mon temps et énergie à la mise au projet ADJ, ci-dessous. En effet, je suis convaincu l’importance de mieux connaître l’un l’autre et de redonner confiance aux marocains à l'étranger, tristement trop souvent mise en question, notamment dans mon pays natal les Pays-Bas.
De même, je voulais vous dire que votre histoire m’a toujours aidé pour trouver le courage pour devenir avocat en France, ainsi que d’ouvrir un jour un bureau de l'entraide judicaire entre le Maroc, la France et les Pays-Bas (notre souhait).
En effet, en restant debout pendant tant des années, vous avez pleinement réussi récupérer un respect immense dans le monde entier.
Dès lors, je sais qu'aussi pour beaucoup d'autres, votre vie, vos souffrances ont beaucoup aidé à encourager de vouloir mettre la vie dans un cadre positif. La thèse de Raouf. Chapeau !!
Encore une fois, je souligne que votre courage était le moteur de vouloir mener à bien la mise en œuvre d’une Académie de droit et de justice (ADJ) au Maroc, ci-joint. Effectivement un travail de 5 ans. Mais de bon cœur !
En respectant votre souhait de vouloir rester discrets, je ne demande pas votre soutien.
Toutefois, j'ose espérer que cet e-mail donnera un petit sourire, car vous le méritez pleinement !
Dr David KREFT
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Ci-dessous : le projet-ADJ
UNIVERSITE CADI AYYAD
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Faculté des Sciences Juridiques
Economiques et Sociales
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Marrakech - Maroc ????? ?????? ????
------
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--------
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ACADEMIE DE DROIT ET DE JUSTICE
Vendredi 13 Février 2009
L’assemblée Générale tenue le Vendredi 13 Février 2009, en présence de :
- Professeur M’hammed MRANI ZENTAR, Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et
Sociales de Marrakech
- Professeur Ahmed EL MOUTAOUSSET, Vice- Doyen chargé de la Recherche.
- Professeur Fatiha SAHLI, Directrice du Laboratoire de Recherche sur la Coopération Internationale
Décentralisée (LRCDI)
- Professeur Khadija EL MADMAD, Titulaire de la Chaire UNESCO « Migrations et Droits Humains » et
avocate à Rabat
- David KREFT, Docteur en Droit, avocat stagiaire, (AVIGNON – France)
- Malika BENSIMMOU, Responsable de la Coopération à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques
et Sociales de Marrakech
A consacré la constitution d’une Association à but non lucratif oeuvrant dans le domaine de la justice et du droit. En effet, les participants à cette assemblée générale conscients de la nécessité d’une coopération entre les institutions des pays des deux rives de la Méditerranée et conscients également qu’une vraie coopération est basée sur un respect mutuel, ont convenu de créer une association dont la dénomination est : « ACADEMIE DE DROIT ET DE JUSTICE (A.D.J) »
L’objectif principale de cette association est la coopération et les échanges de chercheurs et praticiens de la justice (huissiers, avocats ….).
OBJECTIF GENERAL
Identifier des valeurs ayant une évidente signification culturelle, sociale et économique, qui puisse être partagé, tout en respectant la spécificité, afin de promouvoir le dialogue entre les cultures.
Une première activité est prévue pour Novembre 2009, il s’agit en l’occurrence d’un Séminaire sur « Droits des Marocains de l’Etranger » ; d'accueillir les participants dans les familles d'accueil marocaines lors dudit séminaire dans le but d'enthousiasmer les invités des Pays-Bas, de l’Italie, de la France, de l’Algérie, du Tunésie et du Maroc pour l’Académie de Droit et de Justice à Marrakech (chercheurs) et à Rabat (praticiens) au Maroc.
INTERET
La coopération et l’intérêt croissant pour les domaines de la science, de la culturelle, de la sociale, de la commerce internationale, de la justice, de la police et de la science linguistique des deux rives de la Méditerranée imposent la création d'une Académie de Droit et de Justice sur le pourtour méditerranéen (notamment pour avancer le traitement des dossiers familiaux, de travail, de retraite des immigrés actuels, ainsi qu’anciens)
LIEU
Le Maroc (à Marrakech pour les chercheurs et à Rabat pour les praticiens) serait - en symbolisant « une ouverture » entre les deux continents – le candidat par excellence pour exécuter cette mission.
Secrétariat de Monsieur le Doyen - Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales - Daoudiate - B.P. 2380 – Marrakech – Maroc - Tél. : OO212 5 24 30 30 32 / 33 95 - Fax : OO212 5 24 30 32 65 - http://www.ucam.ac.ma/fsjes/
GROUPE CIBLE
- les professionnels
A l’occasion du développement croissant de la coopération judiciaire euro-méditerranéenne, il est – à notre avis – important que les fonctionnaires, les chercheurs, les commerçants travaillant dans un contexte euro-méditerranéens et les (aspirants) chercheurs, les (aspirants) juges, les (aspirents) avocats et les (aspirants) policiers concernés pourraient suivre une formation auprès de l’Académie de Droit et de Justice au Maroc, afin d’apprendre le système juridique, la culture et la langue d’un autre pays et qu'ils puissent effectuer un stage au **** d’un organisme judiciaire dans un autre pays, afin de mieux comprendre les différences juridiques.
- les étudiants
Dans l’intérêt de la coopération universitaire euro-méditerranéenne , notamment dans les domaines de l’économie, du commerce et des sciences politiques, des inscriptions auprès de l’Académie de Droit et de Justice à Marrakech et à Rabat devraient être proposées aux étudiants des pays européens et maghrébins.
- les auditeurs libres
Pour développer les relations économiques et commerciales ainsi que le libre échange des personnes et marchandises entre la Communauté européenne et le Maroc, il serait judicieux que les responsables des entreprises euro-méditerranéens puissent s’inscrire auprès de ladite Académie.
RENDEMENT
Les investissements exigés par un tel projet sont, certes, considérables, mais les effets positifs des stages des étudiants sur la coopération entre l’Europe et les pays méditerranéens seront visibles rapidement.
LE SIEGE SOCIAL DE L’ASSOCIATION
Le siège de l’Association est situé à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales - Marrakech, Daoudiate
COMPOSITION DU BUREAU
Le Bureau se compose de :
Pr. M’Hammed MRANI ZENTAR, Président
Pr. Khadija EL MADMAD, Vice-présidente
Pr. Fatiha SAHLI, Secrétaire Général
Pr. Ahmed EL MOUTAOUSSET, Secrétaire Général Adjoint
Pr. Mohamed MOUMEN, Trésorier
Malika BENSIMMOU, Trésorière Adjointe
Conseillers Pr. Gérard STRIJARDS, Université de Groningue, Pays-Bas, Patricia DI BIASE, Chargé de mission, Région PACA, France
PARTENAIRES ACTUELS
La réunion a permis l’identification des partenaires de l’Association comme suit :
PARTENAIRES :
Ministère public de la Justice – Pays Bas
Barreau de Marrakech
Barreau de Rabat
Ordre des Avocats du Maroc
Ecole Régionale des Avocats de Marseille
Université de GRONINGUE – Pays Bas
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